On pourra s’inspirer pour le travail d'écriture demandé de la lettre ouverte « La Protestation des artistes contre la tour de M. Eiffel », parue dans Le Temps le 14 février 1887. Il s’agit ici, comme pour l’émergence de l’IA dans l’art, de rejeter la nouveauté. Une lettre riche de techniques argumentatives à réutiliser, même si l'histoire a donné tort à ses auteurs…
Une "tribune" est au départ un emplacement surélevé, une estrade d'où un orateur s'adresse à une assemblée. De là, le sens s'est déplacé dans le domaine des médias, pour désigner une émission, page de journal, etc., laissés à quelqu'un, à un groupe pour qu'il exprime publiquement ses idées, sa doctrine. C'est souvent l'occasion d' émettre une revendication, d'un avis tranché mais aussi argumenté. L'objectif d'une tribune est de susciter une action, une réaction, de mobiliser l'opinion. La plus célèbre étant sans doute le "J'accuse" de Zola écrite en défense du Capitaine Dreyfus.
Après avoir lu le texte de la lettre ouverte, vous pourrez répondre aux questions qui la concernent pour vous familiariser avec ses caractéristiques, et ainsi vous préparer à la rédaction de votre propre écrit.
Les artistes contre la tour Eiffel
La protestation suivante se signe en ce moment dans Paris :
À monsieur Alphand,
Monsieur et cher compatriote,
Nous venons, écrivains, peintres, sculpteurs, architectes, amateurs passionnés de la beauté jusqu’ici intacte de Paris, protester de toutes nos forces, de toute notre indignation, au nom du goût français méconnu, au nom de l’art et de l’histoire français menacés, contre l’érection, en plein cœur de notre capitale, de l’inutile et monstrueuse tour Eiffel, que la malignité publique, souvent empreinte de bon sens et d’esprit de justice, a déjà baptisée du nom de « tour de Babel ».
Sans tomber dans l’exaltation du chauvinisme, nous avons le droit de proclamer bien haut que Paris est la ville sans rivale dans le monde. Au-dessus de ses rues, de ses boulevards élargis, le long de ses quais admirables, du milieu de ses magnifiques promenades, surgissent les plus nobles monuments que le génie humain ait enfantés. L’âme de la France, créatrice de chefs-d’œuvre, resplendit parmi cette floraison auguste de pierre. L’Italie, l’Allemagne, les Flandres, si fières à juste titre de leur héritage artistique, ne possèdent rien qui soit comparable au nôtre, et de tous les coins de l’univers Paris attire les curiosités et les admirations. Allons-nous donc laisser profaner tout cela ? La ville de Paris va-t-elle donc s’associer plus longtemps aux baroques, aux mercantiles imaginations d’un constructeur de machines, pour s’enlaidir irréparablement et se déshonorer ? Car la tour Eiffel, dont la commerciale Amérique elle-même ne voudrait pas, c’est, n’en doutez point, le déshonneur de Paris. Chacun sent, chacun le dit, chacun s’en afflige profondément, et nous ne sommes qu’un faible écho de l’opinion universelle, si légitimement alarmée. Enfin, lorsque les étrangers viendront visiter notre Exposition, ils s’écrieront, étonnés : « Quoi ? C’est cette horreur que les Français ont trouvée pour nous donner une idée de leur goût si fort vanté ? » Et ils auront raison de se moquer de nous, parce que le Paris des gothiques sublimes, le Paris de Jean Goujon, de Germain Pilon, de Puget, de Rude, de Barye, etc., sera devenu le Paris de Monsieur Eiffel.
Il suffit, d’ailleurs, pour se rendre compte de ce que nous avançons, de se figurer un instant une tour vertigineusement ridicule, dominant Paris, ainsi qu’une gigantesque et noire cheminée d’usine, écrasant de sa masse barbare Notre-Dame, la Sainte-Chapelle, la tour Saint-Jacques, le Louvre, le dôme des Invalides, l’Arc de Triomphe, tous nos monuments humiliés, toutes nos architectures rapetissées, qui disparaîtront dans ce rêve stupéfiant. Et pendant vingt ans nous verrons s’allonger sur la ville entière, frémissante encore du génie de tant de siècles, nous verrons s’allonger comme une tache d’encre l’ombre odieuse de l’odieuse colonne de tôle boulonnée.
C’est à vous, monsieur et cher compatriote, à vous qui aimez tant Paris, qui l’avez tant embelli, qui tant de fois l’avez protégé contre les dévastations administratives et le vandalisme des entreprises industrielles, qu’appartient l’honneur de le défendre une fois de plus. Nous nous remettons à vous du soin de plaider la cause de Paris, sachant que vous y dépenserez toute l’énergie, toute l’éloquence que doit inspirer à un artiste tel que vous l’amour de ce qui est beau, de ce qui est grand, de ce qui est juste. Et si notre cri d’alarme n’est pas entendu, si vos raisons ne sont pas écoutées, si Paris s’obstine dans l’idée de déshonorer Paris, nous aurons du moins, vous et nous, fait entendre une protestation qui honore.
Ont déjà signé :
E. Meissonier, Ch. Gounod, Charles Garnier, Robert Fleury, Victorien Sardou, Édouard Pailleron, H. Gérôme, L. Bonnat, W. Bouguereau A. Dumas, François Coppée, Leconte de Lisle, Français, Sully-Prudhomme, Élie Delaunay, x, Guy de Maupassant, et bien d'autres artistes.
Source : https://lesmanuelslibres.region-academique-idf.fr Télécharger le manuel : https://forge.apps.education.fr/drane-ile-de-france/les-manuels-libres/francais-seconde ou directement le fichier ZIP Sous réserve des droits de propriété intellectuelle de tiers, les contenus de ce site sont proposés dans le cadre du droit Français sous licence CC BY-NC-SA 4.0